Journal pomlodiesque #1
Libéralisme et écriture
Le Fil de l'eauArgumentatifPhilosophieEcrit par Pomlodie
Bon. L’idée d’une exclusivité web a quelque chose d’enthousiasmant. Non seulement il s’agit de contenu exclusif, c’est-à-dire, d’une certaine façon, rare par son caractère inédit – alors que, clairement, il est plus facile d’accéder à du contenu numérique qu’à du contenu imprimé (mais en même temps le contenu imprimé est disponible en ligne… vraiment on fait les choses bizarrement au Fil). Mais, en plus de cette exclusivité, le format numérique libère de certaines contraintes, formelles mais aussi, peut-être, de ton, ou bien aussi de continuité logique. D’une certaine façon, je dirais même : l’exclusivité renforce cette liberté. Puisque ce contenu est un privilège, je peux en faire ce que je souhaite.
Cette introduction est d’ores et déjà trop libérale, mais ajoutons-en une couche : je n’ai rien de spécial à dire, j’écris simplement parce que j’en ai l’opportunité, un peu comme je pourrais acheter ce machin beaucoup trop cher dont j’ai très peu besoin simplement parce que j’ai aperçu pendant une demi-seconde une publicité sur un réseau social. Saturation d’options que l’on saisit à tout va ; et, dans le même temps, perte du désir authentique. Car finalement, je n’ai rien de spécial à écrire, mais j’ai tout de même vaguement envie d’écrire, sans bien savoir quoi.
Cela m’évoque une tirade, ma tirade préférée en fait (ou en tout cas celle qui m’a le plus marquée). Elle est issue d’
Attentat, un roman d’Amélie Nothomb. « La pornographie a ceci d’excellent qu’elle est une explication globale de notre époque. Qu’est-ce que la pornographie ? C’est une réponse à l’anorexie généralisée que nous sommes en train de vivre. Nous n’avons plus faim de rien et nous n’avons pas tort, car on voit mal de quoi nous pourrions avoir envie. Nos yeux et nos oreilles sont encore plus gavés que nos estomacs. La pornographie, c’est ce qui parvient à susciter un simulacre de désir chez ceux qui ont eu trop de tout. C’est pourquoi, aujourd’hui, l’art dominant est pornographique : il est le seul qui parvient à attirer l’attention, en suscitant un faux appétit. Et nous, comment allons-nous réagir à cela ? »
Ecrire un article simplement parce que je le peux et non pas parce que j’aurais quelque chose de profondément essentiel à coucher dans mes mots : ne serait-ce pas de la pornographie au sens où l’entend Nothomb ? Ma réaction à un monde débordant de tout est-elle d’en rajouter une couche ? Finalement, au fond, pourquoi écrire ?
Pourquoi j’écris ? Et pourquoi dans le Fil ?
Car j’écris bien ailleurs : beaucoup de mail, de nombreuses pages de contenu académique, quelques textes que je partage au CID lorsque je me motive à y aller ou à personne ou presque sinon, des exercices d’écriture libre qui par principe ne sont jamais lus… J’écris aussi en pensée, j’écris dans mes photos, j’écris ma vie en la vivant.
Au fond, alors, pourquoi écrire dans le Fil ? Pourquoi cette logorrhée réflexive qui ne mène nulle part sur la plus-value d’un texte en train d’émerger ? Suis-je victime du libéralisme et de la pornographie ? Peut-être bien. Peut-être aussi écris-je pour la dénoncer. Peut-être qu’ensemble nous pouvons créer quelque chose de beau. Peut-être l’écriture répond-elle au fond au besoin de connecter aux autres et de retrouver du sens là où on le peut ; il n’y a rien d’autre que l’on puisse faire pour communiquer que de s’inventer un langage. Celui que je manie le mieux – et c’est certainement un peu triste – ce sont les mots au sein de longues phrases alambiquées. J’aime comment au cœur des mots on trouve l’essence des êtres. J’ai le goût du bon-mot, le mot juste, et pour le trouver je me perds en arabesques.
Alors peut-être s’agit-il de pornographie – Nothomb a en horreur les surplus de mots, elle aime aller à l’essentiel, un peu comme Rupi Kaur et ses poèmes « noyaux de pêche ». Mais peut-être est-ce aussi là une manière de lier. De trouver de la profondeur. Mes mots sont des pioches et des cordes ; exploration spéléologique du monde symbolique. C’est là que j’aime me promener, dans les profondeurs de l’existence. A moitié emo cringe, à moitié philosophe égotique. En exclusivité web.