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Une histoire environnementale des Seychelles

Repenser l'humain et la nature

Chroniques soci(ét)ales d'une future ingénieureArgumentatifPhilosophieEcrit par Léo__

Une histoire environnementale des Seychelles

Bien. Les Seychelles ont ce doux pouvoir de nous rappeler que le paradis existe, très loin de la France métropolitaine, au nord-est de Madagascar (à l’est du continent africain). Ces îles, je ne les ai pour ma part, jamais vues, j’en ai assez peu entendu parler, mais rien qu’au nom, je sens l’océan Indien, le sable et le lagon. Attardons-nous un peu sur l’histoire des Seychelles et ce qu’elles nous apprennent du lien entre humanité et nature.

La République des Seychelles, est un archipel regroupant 115 îles et totalisant 455 km² de surface dont une large partie granitique[1]. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’archipel - comme l’île Maurice d’ailleurs – n’a pas toujours été habité[2]. En effet ces îles sont longtemps ignorées car elles ne font pas partie des routes maritimes classiques (qui passent alors de la côte orientale de l’Afrique au Yemen - pointe sud de la péninsule arabique – puis à l’Inde). Les courants maritimes et aériens se modifient régulièrement et ne permettent pas aisément de passer par là à l’époque. En 1743, c’est Lazare Picault, un navigateur français, qui fait une exploration approfondie de l’archipel (qui a probablement déjà été visité par des navires anglais et arabes), et nomme un certain nombres d’îles initiant ainsi l’installation coloniale aux Seychelles. Les premiers colons s’y installent dans les années 1770-1780 et viennent de divers horizons : ceux qu’on ne veut plus voir en métropole, ceux qu’on ne veut plus voir à la Réunion (île Bourbon à l’époque), des volontaires. Au cours du XIXème siècle, dans les querelles franco-britanniques, se créent de nouvelles routes commerciales incitant davantage les navires à s’arrêter. Ce passage devient même stratégique, puisqu’il semble faire gagner du temps pour atteindre l’Inde. Le capitaine Morphée argumente dans les années 1860 qu’il serait possible de gagner un mois de navigation pour atteindre l’Inde en passant par les Seychelles.

Pour le XVIIIème siècle, les Seychelles sont d’abord vues comme un enfer. Ces îles granitiques offrent peu de ressources[3]. Les premiers habitants de l’île sont peu nombreux et confrontés à un environnement peu commun. Les civilisations se construisent généralement vis-à-vis d’autres humains, qu’ils soient contemporains (ils sont alors considérés comme des sauvages, généralement à civiliser) ou que ce soient des traces d’anciennes civilisations. Les nouveaux habitants des Seychelles, eux, n’avaient aucune trace humaine, pas le moindre monument, aucune ethnie native pour se repérer.

Sans aucun habitant précédent, sans ces traces à suivre ou à contester, comment se construire une histoire, des valeurs qui rassemblent, une identité seychelloise ?

Comme partout ailleurs, le rapport de l’humain à la nature est à la fois : le résultat de son histoire, et la façon dont il se construit. Mais en l’absence de traces humaines, c’est par les rapports à la nature que la société seychelloise se construit. Ce n’est plus un rapport qui oppose frontalement l’humain et la nature, mais un rapport plus mixte, intégrant l’environnement comme construction de la société.

L’apprivoisement de la nature a alors une importance fondamentale dans ces îles. Les seychellois sont les premiers, en 1887 à réglementer strictement le rapport à la nature grâce à leur « Constitution de la nature », régulant par exemple la pêche des tortues géantes en voie de disparition. Encore aujourd’hui la protection de l’environnement fait partie des devoirs des citoyens seychellois, un article entier de la constitution en vigueur y est dédié (article 38 de la Constitution). Les seychellois élaborent leur histoire dans cette nature et non en face d’elle, comme ont pu le faire les américains avec le concept très étudié de wilderness[4]. Ce phénomène se retrouve dans d’autres îles, comme Maurice ou Saint-Hélène, où la culture locale est imprégnée de ce fort rapport à la terre, qui plus qu’un sol, est un chez-soi qu’il faut donc protéger. On trouve des législations environnementales dès la deuxième moitié du XVIIIème siècle sur ces trois îles. On constate sur l’archipel que 80 à 90% des espèces sont invasives[5]. La protection de l’environnement (vieille de plusieurs siècles ici) est donc aussi passée par sa modification. Ce n’est pas une nature sauvage, comme l’idée de wilderness américaine, mais bien une nature déjà largement modifiée, touchée, réorganisée par les habitants. Pour se construire, les seychellois apprivoisent la nature, la modifient[6]. En retour, celle-ci s’intègre dans la réglementation humaine. Protéger la nature sous-entend alors de protéger des espaces déjà largement modifiés par l’humain.

Comme le montre l’exemple des Seychelles, la nature n’est pas quelque chose que l’on peut totalement dissocier de l’humanité, en voilà d’autres exemples.

Dans un article intitulé Used Planet : a global history[7], un collectif de chercheurs montrent que les modifications humaines de l’environnement sont bien antérieures à l’époque industrielle - assez largement pointée du doigt pour ses pollutions. Bien que ces dernières décennies, voire ces derniers siècles aient été particulièrement riches en bétonisation massive, rejets d’acides et autres combos exploitation humaine/destruction environnementale, la modification des paysages et de l’environnement commence avec l’humain. Les débuts de l’agriculture par exemple (entre 4000 et 7000 ans avant notre ère), ont eu de grands effets sur les écosystèmes. En protégeant certaines espèces animales ou végétales pour notre consommation propre, leurs prédateurs, privés de nourriture, ont parfois disparu. Les espèces qui chassaient les animaux d’élevage dépérissent, les espèces chassées sont désormais protégées d’eux. Et ce phénomène affecte toute la chaine alimentaire jusqu’aux herbes, aux arbustes et c’est donc le paysage entier qui est massivement et visiblement modifié.

L’utilisation du feu est aussi décrite comme modifiant l’environnement, espèces et paysages confondus : « durant le milieu de l’Holocène, l’usage des terres agricoles est particulièrement mis en évidence par des incendies volontaires[8] qui peuvent avoir transformé massivement la structure de la végétation et la composition des espèces dans de nombreuses régions, de la Méditerranée jusqu’aux Tropiques ; les écosystèmes basés sur des régions boisées étant de plus en plus reconnus comme des héritages bio-culturels dans la longue histoire des premiers usages humains[9]».

Les travaux de recherche en histoire environnementale nous montrent que l’humain et la nature sont en réalité difficilement distinguables. Philippe Descola dans Par-delà nature et culture[10] expose cette difficulté de penser l’humanité comme construite en dehors de la nature et la nature comme une entité à préserver, non-touchée par l’humanité. Cela qui impose de repenser nos actions de protections environnementales : s’il est évident de ne pas renverser de l’eau de javel dans son jardin, il est en revanche plus difficile d’évaluer la pertinence d’une réserve naturelle ou un parc. Enfermer une nature sous argument qu’ainsi elle n’est pas modifiée par l’humain est un vaste leurre. En effet on ne peut par exemple pas enfermer l’air, pollué davantage chaque jour. Au-delà de l’exemple des réserves, c’est notre idée de protection qu’il s’agit de penser autrement.

La nature est difficilement dissociable des actions humaines, par l’histoire humaine même, qui se fait chaque seconde en influençant l’environnement. L’autre versant de cette montagne est de considérer que les actions humaines, l’organisation des hommes, la gestion des ressources, la politique, l’économie, le social… se sont faits sans rapport à la matérialité du monde. L’exemple des Seychelles le montre bien : dans un environnement où il n’y a pas d’humain à qui se référer, l’environnement prend une fonction de base de construction sociale. Les humains se construisent et s’organisent autour de lieux de vie et d’accès aux ressources, partiellement déterminés par des positions géographiques. On ne trouve pas les mêmes gouvernements en Asie, au Moyen-Orient ou en Amérique du Sud, et ce n’est pas qu’une question de choix politiques, c’est aussi une question de matière et d’organisations environnementales, géologiques à disposition, les deux sont indissociables et s’influencent mutuellement .

[1] Les granites sont des roches magmatiques contenant des minéraux : des quartz (blanc), des feldspaths plagioclases (plutôt noir), des micas noirs (petits points noir à l’œil nu), et d’autres que je ne connais pas, pour ceux ayant de vagues souvenirs de géologie, c’est très joli au microscope en lumière polarisée analysée. Quoi ? Chacun ses passions. https://lewebpedagogique.com/brefjailuleblogduprofdesvt/files/2015/05/mineraux-magmatique-1-1.png

[2] La casi totalité des informations et réflexions qui suivent sont issues d’une interview de Gregory Quenet et Joséphine Lesur par Anaïs Kein et Emmanuel Laurentin, dans l’émission radiophonique La Fabrique de l’Histoire « Histoire des politiques environnementales ». 19.09.2016. France Culture. et de la présentation d'Hugues Choplin au séminaire de GE90 H20.

[3] Si ce n’est les tortues géantes qui ont failli disparaitre à cause de la surpêche Réunionnaise et Mauricienne à destination des hôpitaux principalement. Très goûtues paraît-il mais la disparition d'une espèce, bon, relativement peu éthique. Il faut attendre la fin du XIXème siècle pour que la pêche en soit interdite.

[4] La wilderness est un terme difficilement traduisible en français, qui décrit une nature sauvage, non touchée par l’humain, en dehors de toute action humaine, presque une nature pure, à dimension divine. C’est un concept qui nait aux Etats-Unis et qui sert à légitimer l’expulsion de populations pauvres par l’Empire anglais au XVIIIème siècle. Cette idée de nature sera très critiquée par la suite notamment grâce au point de vue indien de la question. Je vous redirige vers l’excellentissime Introduction à une histoire environnementale pour ce sujet et bien d’autres.

[5] Non natives du lieu.

[6] Si vous n'êtes pas très fan de lecture, je vous conseille 5 minutes d'explications de M.Quenet : entre 42'13 et 47'20 ici : https://www.youtube.com/watch?v=nkX8aoLeElk.

[7] Erle C. Ellis, Jed O. Kaplan, Dorian Q. Fuller, Steve Vavrus, Kees Klein Goldewijk, Peter H. Verburg, Used planet: A global history. Proceedings of the National Academy of Sciences. Mis en ligne le 14 mai 2013, consulté le 09 mai 2020. URL: http://www.pnas.org/content/110/20/7978.

[8] Les incendies volontaires sont utilisés pour créer des nutriments enrichissant le sol.

[9] Ibid. Je traduis.

[10] Descola, Philippe. Par-delà nature et culture. Folio, 2015.