La rage crasse faisait craquer mes nerfs las. Inégalités croissantes, discours crissant et crispant accompagnés de croassements de puissants grisonnants : une macabre palabre avait suffi à donner de l’heur à ma fureur. Prisonnier de mon corps comme un cochon dans une soute, balloté, malmené en des lieux familiers, je devais batailler pour travailler : rancœur rance, colère noire immense et valse de Saint Saëns tournoyaient en silence en mon être de leur vol ras de rapace.
Pianotant sur mon clavier et affrontant le ballet des erreurs, la tâche n’avançait pas, je conspuais le compilateur. Je me tenais droit face à mon outil, casque sans son sur les oreilles, car je suis de ces serfs-là, qui se cachent sous leur carapace faute de pouvoir exprimer les maux qui les traversent. Sans autre musique que le cliquetis du clavier mécanique ni autre horizon que des arbres binaires, je combattais, harassé. Errant dans la forêt bourbeuse des dossiers mal rangés, je trouve un fichier à l’extension ode d’été.
Alors je m’arrête d’écrire des commandes fades pour peindre des paysages lointains. J’ai une vingtaine de lettres à disposition, des millions de phrases pour une infinité de mondes possibles, encore faut-il écrire les mots qui les traversent, les explorent et en reviennent, fatigués de leur expédition, couchés sur une feuille volante.
Je commence par un monde volcanique, tourbillonnant et impitoyable, je tire de ma palette les rouges les plus sombres pour dessiner les billes de lave en fusion volant crescendo vers les cieux assombris, couverts par la percussion des crépitements de la terre en mouvement. Elles retombent sur le sol brûlé, pétillant de chaleur.
Plutôt insatisfait, j’écris au stylo indigo quelques océans agités sur un brouillon insatiable, roulis instable où les teintes ivoire et saphir s’assemblent pour porter l’azur, comme des molécules pour faire cellule. Les vagues s’écrasent avec fracas un peu plus loin sur le sol fin d’où l’on peut humer les premiers parfums de pins, dont l’ombre est à la clé d’une ascension sur les rocailles.
Le vent foule lentement ses enfants qui ronronnent en sapins staccato leurs essences résineuses, pliant en ondée sauge, olive ou épinard. Et quand leurs épines bercées finissent par tomber, elles se reposent à leurs pieds où grouille la vie qui les transformera, qui les transportera et les transfigurera, dans des galeries creusées à même les argiles meubles des terres d’ombre, de Sienne ou de Cassel. Elles voyageront lentement et rejoindront les champs en contrebas sédimentaires loin des hauts bois, elles fertiliseront les terres arables que l’homme adapte.
Il y cultive en bouquet des symphonies symbiotiques d’espèces de toutes les couleurs et toutes les saveurs, qui bruissent dans le calme en grandissent vers les cieux dorés de Rê, dans ces lieux reculés au diapason d’une humanité fantasmée. Je ferme les yeux pour vibrer au tempo de ce monde de prose silencieuse, pour faire durer la trêve en embarquant dans mes rêves mes derniers états d’âme.
Me revoilà assis dans cette pièce sans murs, prêt à faire tomber en marche quelques programmes en attendant patiemment que l’orage soit passé. De la tempête à l’harmonie, il faut du temps et parfois des millions d’années, d’autres fois les quelques heures d’écriture nécessaires pour faire fleurir un texte en couleurs.