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[Texte sans titre]

Détente

Il n’était pas vieux, ni même à risque à vrai dire. Il n’était pas jeune non plus, se disait-il. On ne se résout pas à ce genre de travail quand on est jeune. Ou peut-être que si, qu’on pense grimpait les échelons, et qu’on finit par comprendre qu’on n’ira pas plus haut, mais que ça pourrait être pire, regarde papa, il y en a qui vivent dehors. Il ne pouvait pas voyager, c’est vrai, ni même s’offrir ses petits plaisirs, mais un récit d’aventure, un documentaire sur les limites de l’univers, c’était un moyen tout à fait correct pour s’évader au-delà de ce qu’il lui semblait possible, de ce que le monde rendait possible. Il ne lui disait pas à elle, mais il lui préparait une surprise. Chaque mois, il remplissait une enveloppe d’un peu de son salaire. Il l’emmènerait en Mongolie un jour. Ce n’est pas aux confins de l’univers, mais c’est déjà loin.

Elle l’attendait, son fantôme.

Il avait pris son envol, pourtant sans elle. Evadé à jamais de notre monde. Il se reposerait désormais pour toujours, attrapé par les bras d’une Morphée qui n’avait rien d’une fée. Il rêvait un horizon au-delà des barres d’immeuble, de grand air là où il ne connaissait que la pollution, jusqu’à toucher le sommet d’une pyramide enneigée. Une vie à l’inverse de ce qu’il traversait. Il était nul, il lui fallait toucher la lune. S’il était resté, elle en aurait fait autant. S’il avait continué de vivre, elle aurait continué de survivre. Sans sous, ça c’est sûr, mais sûrement sans soucis. Le pensait-elle.

Elle était partie sans lui. Après lui, et c’est elle qui devait l’attendre ? Elle avait toujours eu peur de sortir de sa routine, de prendre la route pour aller nulle part, ou partout. Pourtant, elle l’avait fait.

Il lui avait laissé tous ses rêves, et s’il devait demeurait à six pieds sous Terre, ce serait à elle d’en faire le tour, sans tourments.

Elle y était arrivée, après un long, trop long voyage. A corps perdu dans ce cœur perdu. Cœur de la Mongolie, un endroit sommaire certes, mais sommaire d’un livre dont on ne peut arrêter de tourner les pages. Un lieu si commun pourtant hors du commun. Pour elle aussi, insensé, censée s’enterrer dans une vie qui n’avait plus de sens. Insensé d’oser rêver. Insensé de tout plaquer.

Il ne cesserait pas d’exister, il deviendrait simplement un bon souvenir.

Elle y était arrivée. Elle s’était pris une claque. Par ce vide si rempli, ce silence si fort, cette paix si dure. Elle s’en reprit une ce matin, quand le soleil lui tapa son camping-car, garé au milieu des steppes, un camp de nomades sur les abords. Elle adorait déjà ce peuple qui lui souriait simplement, lui offrait un bon petit déjeuner pour la journée qui s’annonçait. Deux heures plus tard, elle reprit la route et décida de s’arrêter. Depuis qu’elle avait commencé à arrêter, de vivre trop vite pour commencer, elle ne s’en passait plus. Elle s’arrêta sur les hauteurs du canyon de Yoliim Am, plus abrupt, probablement indomptable. Pour une fois, elle était devant le gouffre, joyeux, plutôt qu’au bord, désespérée.