2 et 2 font 3 : la beauté des mathématiques découle de la simplicité de ses axiomes ; les corrompre en devient alors d’autant plus… renversant.
De ceux-ci découle aussi l’identité d’Euler : ⅇ^ⅈπ 1=0. D’une sobriété parfaite : sept caractères. Une simplicité telle qu’on pourrait dire qu’il s’agit de la plus belle équation connue. Ou bien la plus stupide. Quelle utilité a cette équation puisque le résultat qu’elle donne est toujours le même : 0, et c’est ce résultat correct mais unique qui rend les équations à la fois belles mais stupides.
L’exact inverse de « 2 et 2 font 3 » : une équation aussi stupide et belle que les autres, mais cette fois-ci parce qu’elle est fausse. De quelles mathématiques tordues une telle équation pourrait-elle venir ? De celles où le concept même de chiffre n’a plus d’utilité, où qu’il y ait 1, 2, 45.78 ou 58π/5 en facteur, le résultat sera identique et si différent à la fois, car ce sera celui qu’on souhaite.
Arrêtons là le carnage. Ces mathématiques tordues ressemblent trop à la vie, pour qui 1 peut devenir l’infini avec un peu de temps ; et diffèrent trop avec le quotidien, dans lequel on s’impose des règles à suivre, qui nous disent que la seule suite possible à notre situation de départ – 2 et 2 – est 4. Ces situations où l’on est persuadés que parmi tous les choix qui existent, seul un est correct ; alors que le principe même de correct ou faux devient caduc quand nous vient à l’esprit de changer les règles, ou qu’on nous insinue cette perspective. Comme cette fois où je me suis rendu compte que tout n’était pas soit noir, soit blanc. Grâce à cette fille, et son interruption de quelques secondes dans ma vie.
J’étais renfermée sur moi, seule à ma table, comme d’habitude, les nerfs aussi écorchés que si on m’avait jetée dans un enclos de tigresses enragées – ce qui était réellement le cas – cet enclos s’appelait « école » et ces tigresses « des emmerdeuses ». C’est alors qu’elle est arrivée, ou plutôt, s’est imposée dans ma bulle personnelle. Elle s’est posée sur la chaise voisine comme un cheveu sur une soupe. Le regard haineux que j’ai lancé ne l’a pas faite sourciller. Elle m’a juste souri, amusée et sorti cette réplique ; la plus stupide que j’aie entendue :
- Deux et deux font trois.
- Arrête de raconter de la merde et dégage, lui avais-je craché.
Elle avait détourné son regard de moi, et continué son monologue. J’avais eu l’impression de ne pas exister, ou qu’elle m’ignorait ; c’était encore plus agaçant :
- Tu n’es pas obligée de te laisser faire. Ce n’est pas l’unique réponse correcte.
- Ça ne te regarde pas. Ou bien tu viens sauver la veuve et l’orphelin pour satisfaire ton égo surdimensionné ?
Encore une fois, j’avais eu la sensation qu’elle se foutait de mes réponses.
- Tes actions ne sont pas aussi contraintes que tu le penses. Comme deux et deux qui font trois et non quatre.
Puis elle est partie. Je ne savais où, et je ne voulais pas le savoir. Mais ce court dialogue avait éveillé en moi une étincelle. Une étincelle qui se révèlerait plus tard être la clef qui changerait ma vision du monde.