La période spéciale
Avec la chute de l’URSS en 1991, la principale île des Caraïbes se
retrouve privée de son allié principal face à l’embargo étatsunien promulgué en
1962. Mise au ban de la scène internationale, l’île de Cuba fait face à une
crise énergétique majeure ne bénéficiant plus des exportations pétrolières
soviétiques. La dizaine d’année qui fait suite contraint le régime cubain à
opérer à une transformation radicale de son système productif. C’est la
« période spéciale ». Parallèlement et « entre 1991 et 1994, le
produit intérieur brut (PIB) plonge d’environ 35 % » [1], ce qui
complique d’autant la transition à effectuer.
Dans ce cadre, de nombreuses réformes ont été engagées pour
économiser l’énergie : « les horaires de travail dans l’industrie
furent réduits, la consommation domestique d’électricité rationné, l’usage de
la bicyclette et le covoiturage se sont généralisés, le système universitaire a
été décentralisé, le solaire et le biogaz on été développés (fournissant
10 % de l’électricité). Dans le domaine agricole, le renchérissement des
pesticides et des engrais chimiques, très énergivores, a conduit les Cubains à
innover : contrôle biologique des nuisibles par des insectes prédateurs,
fertilisants organiques, périurbanisation de l’agriculture permettant de recycler
les déchets organiques ; enfin la nourriture a été sévèrement
rationnée. » [2]
Dans le même temps, l’effondrement économique conduit le
gouvernement à grever le budget alloué aux forces armées. Celles-ci troquent
les armes à feu pour les binettes, les treillis olives pour les colliers de
fleurs et les shakers. Les forces armées révolutionnaires (FAR) produisent au
milieu des années 90 « entre un tiers et la moitié de la nourriture que
consomme la population » [1] tandis que « des pilotes de chasse deviennent
pilotes de ligne, des amiraux commandants de yacht » [1] ; le secteur
du tourisme constituant une manne financière pour les militaires.
La descente énergétique contrainte de Cuba a forcé ses occupants à
des innovations techniques et sociétales. La révolution agricole exercée est à
ce titre exemplaire. Afin de nourrir ses 10,58 millions d’habitants, les
rendements agricoles cubains ne pouvaient trop décroître sans risquer de
provoquer de graves famines malgré l’abandon d’une agriculture mécanisée et utilisant
de nombreux intrants chimiques. Les nouvelles formes d’agriculture développées
pourraient être qualifiées de « smart » si elles n’étaient dues à une
intelligence humaine. En tout cas, elles sont bien plus intensives en matière
grise et en main d’œuvre. Malgré tout, cette période de transition est restée
brutale. Entre 1990 et 1993, la population cubaine a vu son poids moyen
diminuer de 5 kg.
Par ailleurs, les cubains ont développé une formidable économie de
réparation et de recyclage notamment afin de maintenir un parc automobile ne se
renouvelant pas, ou très peu. Le nombre de voitures datant des années 50 reste
très conséquent et représenterait le tiers des véhicules en circulation.
Autre enseignement, les émissions en CO2 de l’île n’ont réduites que d’un tiers entre 1990 et 2000 malgré tous les efforts consentis. A titre de comparaison, le GIEC estime que les émissions des pays riches doivent diminuer de 82 % d’ici à 2050 si nous voulons avoir une chance sérieuse de rester sous la barre des 2°C de réchauffement climatique.
[1] Le Monde diplomatique n°768 (mars 2018), Cuba, le pays du vert olive par Renaud Lambert.
[2] Bonneuil C, Fressoz JB. L’événement
Anthropocène / La terre, l’histoire et nous. pp. 123-124, éditions du
Seuil, mai 2016.